La cour de cassation vient de statuer sur cette question, par une position augurant une modification en profondeur de la pratique professionnelle des agents immobiliers.
En effet, dans le cadre de l’exercice et du développement de leur activité, les agents immobiliers ont fréquemment recours aux mandats d’agents commerciaux indépendants.
Le statut d’indépendant permet à l’agence immobilière mandante de ne pas supporter les coûts liés aux charges sociales d’un salarié, tout en bénéficiant d’un service d’entremise.
La loi n°70-9 du 2 janvier 1970 encadre cette pratique du mandat donné par un agent immobilier à un tiers, dans une activité d’entremise immobilière.
Plus précisément, l’article 4 de la loi susvisée prévoit l’application des dispositions du chapitre IV du titre III du Code de commerce, réglementant l’activité des agents commerciaux, aux personnes habilitées par un agent immobilier titulaire de la carte professionnelle.
Cette habilitation nécessite que l’agent immobilier soit détendeur de la carte professionnelle, et qu’il soit remis à l’agent mandataire une attestation justifiant de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue une importante décision émanant de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, rendue en date du 17 mai 2023.
Les faits à l'origine de la décision
Une société détentrice de la carte professionnelle, et exerçant l’activité d’agent immobilier, était en charge de la commercialisation de programmes immobiliers pour le compte de promoteurs.
Afin de promouvoir les programmes immobiliers qui lui ont été confiés, la société a conclu divers contrats avec des sociétés tierces, désignés par les parties comme « mandants commerciaux ».
Une rupture unilatérale des relations commerciales est intervenue à l’initiative de la société mandante.
Fort de cette résiliation, la société mandatée se prévalait du statut d’agent commercial, et réclamait à ce titre le versement d’une indemnité de fin de relation, conformément aux dispositions de l’article L.134-12 du Code de commerce.
La société mandante contestait de son côté l’argumentation de la société mandataire, considérant que le statut d’agent commercial n’avait nullement vocation à s’appliquer en l’espèce.
Les questions juridiques
La Cour d’appel de Versailles s’est prononcée en faveur de l’application du statut des agents commerciaux, et a accueilli favorablement la demande d’indemnité présentée par la société mandataire.
Cet arrêt a été critiqué par la partie défenderesse, qui s’est pourvue en cassation, à l’appui de différents moyens de droit.
La Cour de cassation a ainsi été confrontée aux trois difficultés suivantes, présentant chacune un intérêt particulier pour les professionnels de l’immobilier :
- L’agent immobilier dispose-t-il de la faculté d’habiliter un diffuseur personne morale au titre de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 ?
- Les parties peuvent-elles choisir de soumettre conventionnellement leur relation au statut de l’agent commercial ?
- Le juge doit-il se tenir aux stipulations contractuelles, ou doit-il procéder à l’examen des actions concrètes menées par le mandataire ?
La solution de la cour
L’extension du droit d’habilitation de l’agent immobilier aux personnes morales
La 3ème chambre commerciale de la Cour de cassation, étend la possibilité pour un agent immobilier titulaire de la carte professionnelle, d’habiliter un tiers personne physique, en vue de la négociation et du démarchage, à un tiers personne morale.
La pratique des professionnels de l’immobilier consistait jusqu’alors à mandater des agents commerciaux indépendants, proposant leurs services sous le statut de l’auto-entrepreneur.
Ce faisant, la 3ème chambre commerciale ouvre la voie à une évolution de la pratique commerciale des agents immobiliers, et s'inscrit dans une position contraire à la 1ère chambre civile, estimant dans un arrêt du 8 février 2005 que « si l'article 4 de cette loi donne au titulaire de la carte la possibilité d'habiliter une personne physique à négocier, s'entremettre ou s'engager pour son compte dans les conditions prévues à l'article 9 du décret du 20 juillet 1972, il ne permet pas de conférer à une personne morale l'autorisation d'exercer l'activité d'agent immobilier, sans être elle-même titulaire de cette carte ».
Le rejet de l’extension conventionnelle du statut de l’agent commercial
Le négociateur indépendant, habilité par un agent immobilier détendeur de la carte professionnelle, relève systématiquement du statut d'agent commercial dès lors que ses missions s'inscriront dans le cadre de l'article L.134-1 du Code de Commerce.
L'article précité vise, à titre de profession indépendante et de façon permanente, la négociation ainsi que la conclusion de contrat pour le compte d'un professionnel.
A contrario, lorsque ces conditions ne sont pas remplies, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation rejette la possibilité d'une soumission volontaire des parties au statut de l'agent commercial, pratique pourtant courante dans la pratique, et admise par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (formation la plus solennelle de la juridiction), en matière de baux commerciaux (Cass. ass. plén., 17 mai 2002, n°00-11.664).
Le juge doit procéder à l’analyse de la réalité des missions effectuées par le mandataire
Dans la droite ligne de sa position sur le rejet de l'extension conventionnelle du statut de l'agent commercial, la Cour de cassation considère que les juges du fond ne doivent pas s'en tenir à la lettre du contrat conclu par les parties, mais sont tenus de rechercher la réalité des missions confiées à l'agent indépendant.
Seule la réalité des missions confiées est de nature à justifier l'application du statut d'agent commercial.